Sébastien de Danieli : "comme une ombre", à la recherche du loup.
Pour beaucoup de photographes animaliers et autres passionnés de nature, le loup fait figure d'emblème sauvage. C'est un grand carnivore, il est particulièrement photogénique et sa quête oblige à se plonger corps et âme dans la nature. Et plus généralement, parmi les animaux sauvages le loup tient une place à part.
Imaginaire collectif et fantasmes en tous genres obligent.
La fascination qu'a exercé le loup blanc de l'arctique sur Vincent Munier ne sort sans doute pas de nulle part.
Malgré l'expansion du loup en France ces 30 dernières années, rares sont les photographes qui ont réussi à y saisir l'animal dans la nature. Plus rares encore sont ceux qui ont eu la patiente et la connaissance naturaliste nécessaires pour se lancer dans un travail au long cours de suivi d'une meute de loups.
Photographe animalier et cinéaste depuis 20 ans, Sébastien de Danieli vous explique ici comment il a obtenu de superbes photos d'une meute de loups gris du massif de Belledonne, dans les Alpes françaises.
De ce travail sont nés un livre, "Comme une ombre" puis un film co-réalisé avec Stéphane Granzotto, "Sur la piste du loup".
Entretien réalisé lors de la couverture du festival et du concours de Montier-en-Der 2022.
Être photographe animalier demande une patience infinie. Photographier le loup en France va encore au-delà. Sébastien de Danieli a dû déployer des trésors d'ingéniosité technique et de connaissances naturalistes pour réaliser ses photos et son film.
Avec une approche locale. Des photos en circuits courts en quelque sorte 🙂
Sébastien de Danieli est un photographe animalier connu pour s'intéresser à des espèces proches pour faire connaître la richesse et la diversité de notre patrimoine naturel. Pour au final mieux le faire connaître et le protéger.
Le site
C'est à cheval entre la Savoie et l'Isère que le photographe animalier Sébastien de Danieli a déployé son système de pièges photos. Dans le massif de Belledone précisément. Une zone forestière et des milieux plutôt fermés qui ne permettent pas d'observations lointaines des loups.
Le photographe a donc contourné cette difficulté en utilisant cette méthode de prise de vue indirecte : de véritables petits studios automatiques installés dans la montagne.
Le matériel
De nombreux essais ont été nécessaires à Sébastien pour trouver la bonne combinaison matérielle, qui comprend :
- un réflex
- un système de flashs commandés à distance
- une barrière infrarouge
- les batteries permettant d'alimenter le matériel pendant environ 1 mois.
Vous ne trouverez pas dans le commerce de systèmes tout faits et prêts à l'emploi : on est ici dans une mise au point artisanale et minutieuse !
Le repérage
C'est un véritable travail d'enquêteur que le photographe animalier a réalisé pendant plusieurs années pour pouvoir placer ses reflex aux bons endroits.
Sébastien de Danieli a pour cela littéralement quadrillé la montagne avec ses caméras automatiques. Objectif "choisir quelques mètres carrés pour poser un piège photo sur le territoire d'un animal qui a un domaine vital de 200 km2".
Un important travail de pistage des loups a également été nécessaire. Sébastien a pu compter sur un coup de main de la neige en hiver qui enregistre les traces, et sur l'aide ponctuelle de sa chienne !
Je vous signale ici au passage l'excellente formation en ligne et gratuite de l'association FERUS pour tout savoir des loups, mais aussi des ours et des lynx, en France et chez nos proches voisins.
Et si vous voulez en apprendre plus sur l'usage des caméras automatiques pour vos propres repérages, vous pouvez retrouver sur le blog les deux articles que j'ai écrit à leur sujet.
Le loup en France en 2022.
Depuis son retour spontané en France, où il a été revu pour la première fois en 1992 dans le Mercantour, le loup ne cesse d'élargir son aire de répartition.
À la fin de l'été 2021 l'office français pour la biodiversité, chargée du suivi des populations de loups, comptait 128 meutes en France. Principalement dans les massifs alpins et provençaux, mais aussi dans le grand Est et en Occitanie.
De ces meutes partent de jeunes loups "dispersants" capables de parcourir de très longues distances à la recherche d'un territoire et d'un·e partenaire.
C'est le secret de la reconquête du loup des espaces dont il avait été exterminé. Et c'est ce qui explique les observations récentes et confirmées du loup en Bretagne, en Normandie, en Île-de-France ou encore en Centre-Val-de-Loire. Bref, un peu partout !
À défaut de s'installer aujourd'hui durablement dans ces nouvelles régions, le loup y envoie des éclaireurs... Un atout qui fait cruellement défaut aux deux autres grands prédateurs présents dans la nature française (en métropole), l'ours et le lynx.
Alors à quand un photographe animalier immortalisant un loup dans les massifs de Rambouillet, de Fontainebleau ou de Brocéliande ? À mon humble avis, ce n'est qu'une question de temps...
Vous voulez plus d'images de loups ?
Si vous ne l'avez pas déjà vu, allez voir le travail du cinéaste et photographe Jean-Michel Bertrand. Autres méthodes et autre style, beaucoup plus scénarisé que celui de Sébastien. Ses films : "La vallée des loups" et "Marche avec les loups". De belles histoires inspirantes.
Et si on fait abstraction du bilan carbone des photos, on se régale toujours des images du photographe animalier français Vincent Munier et ses loups blancs de l'Arctique. La maison d'édition de Vincent Munier.
Comme une ombre
Des images rares, sauvages et belles :
"Ce livre vous invite à plonger dans l'intimité du sauvage…Au fil des pages, les images vous emmèneront sur la piste des ombres. Ces silhouettes, que le randonneur aperçoit au détour d’un sentier. Certaines sont communes, d’autres plus rares. Énigmatiques. Parmi ces ombres, il en est une dont la discrétion est à la hauteur du territoire qu’elle parcourt, et pourtant, elle demeure invisible… Enfin presque…"
Sébastien de Danieli
Vous préférez une version texte de l'interview ?
La voici :
Sébastien, quelle a été ton approche pour photographier le loup ?
J'habite dans les Alpes à cheval entre les départements de la Savoie et de l'Isère, au pied du massif de Belledonne. C’est un massif sur lequel il y a richesse et une diversité très intéressante pour un photographe animalier comme moi.
L'idée au départ était de photographier le loup dans son milieu. Il était compliqué d'avoir des images avec des approches classiques comme l'affût, car c'est un massif qui est très forestier. Réaliser des photos de loup à distance était difficile.
Donc j'ai pris le parti de me lancer dans un vrai travail d'enquêteur et d'utiliser des méthodes indirectes, comme les pièges photographique.
Techniquement, comment as-tu procédé ?
J'ai surtout mis en place des appareils photos réflex sur le terrain, avec des systèmes de barrière infrarouge et de flashs pour avoir des photos de jour comme de nuit, et surtout pour avoir des photos de loups en couleur.
Cela m'a permis de photographier un grand nombre de comportements différents des loups et de comprendre petit à petit comment “le loup” occupe le massif et comment fonctionnent les différentes meutes de loups que j'ai pu suivre et photographier.
Il fallait pour cela avoir un maximum d'autonomie sur les pièges photographiques pour ne pas avoir à y retourner tous les deux ou trois jours. Une fois le piège photo posé, l’objectif était de le laisser pendant un mois. Il fallait donc des batteries qui tiennent pendant tout ce temps aussi bien sur l’appareil photo et sur les flashs que sur la barrière infrarouge.
Il a fallu tester plusieurs combinaisons entre différentes marques d’appareils photo, différents types de flash, différents systèmes de batteries… Cela a demandé énormément de travail, artisanal.
Après la sortie du livre, tu as poursuivi ce travail sur loup, pour quelles raisons ?
Avec une espèce comme le loup, je pense que le travail n'est jamais fini. Mais c'est pour moi c'est vrai aussi pour plein d'autres espèces.
La publication de ce travail était pour moi une étape : il fallait à un moment donné que je montre ces photos de loup.
Mais ce n’est pas tout. Le loup est un animal sur lequel tout le monde fantasme un peu. Il y a parfois aussi beaucoup de choses qui sont dites et qui ne sont pas forcément vraies.
C’est pour cela que j'ai eu cette envie de montrer réellement ce qui se passe autour du loup. C’est un des buts du documentaire qui a été réalisé avec Stéphane Granzotto qui m'a suivi et qui m'a accompagné sur le terrain. On est allé ensemble à la rencontre de ces loups. C’était vraiment important, comme le travail réalisé avec les scientifiques d’ailleurs.
Ce travail avec les scientifiques spécialistes du loup, est-ce important aussi pour tes photos ?
Sur le loup c'est hyper important parce que je vais en tirer des informations que je ne pourrais pas avoir avec les photos.
La génétique en particulier me permet de connaître les loups à l’échelle de l’individu. Je ne pourrais pas forcément avoir cette précision en photo. En regardant les images on peut parfois reconnaître une petite marque, un indice pour identifier le loup sur la photo, mais la génétique a un côté infaillible.
Comment arrives-tu à trouver les loups dans l’immensité de la montagne ?
C'est un peu la difficulté : localiser une zone de quelques mètres carrés où passe un animal qui a un espace vital de plus de 200 kilomètres carrés. Donc le travail de pistage est énorme.
Je passe beaucoup plus de temps juste avec mes jumelles à parcourir le terrain qu’à photographier le loup. La neige aide beaucoup : je peux savoir quand un loup est passé deux ou trois fois au même endroit et alors poser un appareil photo.
La présence du loup provoque de nombreux débats, quelle est ta position ?
Le loup est là, il faut faire avec.
En montagne on ne va pas être pour ou contre les avalanches, c’est un phénomène naturel. Pour moi le loup est un élément du paysage. Chez moi cela fait 20 ans que le loup est présent.
Il y a des mesures de protection qui ont été mises en place. La plupart du temps ça marche. Parfois il faut admettre aussi que cela ne marche pas : le loup est un animal comme les autres et ce sont d'abord des individus qui ont chacun un caractère bien affirmé et qui peuvent se spécialiser. Je pense qu’on a énormément de choses à apprendre encore.
Quels sont tes projets pour les prochains mois ?
Pour les prochains mois mon projet est d’être le maximum dehors. J'ai vraiment à cœur de travailler sur des sites proches de chez moi, sur des espèces qui sont à portée de ma maison.
Je pense que c'est intéressant de montrer ces espèces-là. Des gens qui vivent au pied des montagnes n’ont pas forcément connaissance de cette richesse et de cette diversité. Si on ne montre pas ce patrimoine, si on ne se l'approprie pas, je pense qu'on aura du mal à faire comprendre qu'il faut protéger cette nature.