Photo de couverture : Jacqueline Emery et David Lei
Il avait des yeux orange brûlés, des aigrettes dressées comme deux points d’exclamation, et un panache de survivant improbable.
En février 2023, Flaco le Grand-duc d’Europe s’échappe du zoo de Central Park. Né en captivité, incapable de voler correctement, nourri à la main depuis sa naissance, il ne devait pas survivre. Il a tenu un an, libre. Un an à planer au-dessus de Manhattan, à se faufiler entre les buildings et à captiver les regards.
Le 23 février 2024, après avoir percuté un immeuble de l’Upper West Side, Flaco est mort.
Mais l’histoire qu’il a écrite, elle, continue de planer dans les rues de New York comme dans les images et le livre qu’en ont tirées deux photographes passionnés, Jacqueline Emery et David Lei et auquel PetaPixel consacre un bel article.
Un hibou au milieu des buildings

Tout commence par une fuite qui n’aurait jamais dû être possible : un vandale découpe le grillage de l’enclos du hibou grand-duc, qui s’échappe alors dans la nuit. À 13 ans, sans jamais avoir chassé ni volé librement, Flaco se retrouve parachuté dans la jungle urbaine.
Contre toute attente, il apprend vite. Il chasse dès la première semaine, gîte dans les arbres du parc, s’installe.
Très vite, une communauté de passionnés à jumelles, d’ornithologues et de photographes se constitue autour de lui. Les « Flaco-watchers » donnent sa position en temps réel, comparent les clichés, échangent sur Twitter. Il faut dire que le sujet est photogénique. Improbable. Immense. Et parfaitement urbain.
Flaco pose sur les bancs de Central Park, les grues de chantier, les corniches d’immeubles. Il survole la 5e avenue, se planque derrière les vitres teintées des bâtiments, s’offre en contre-jour sur les toits au crépuscule.
Un livre pour raconter une année d’émerveillement
De cette année à ses trousses, Jacqueline Emery et David Lei ont tiré un ouvrage touchant, Finding Flaco: Our Year With New York City’s Beloved Owl, mêlant témoignages, réflexions et plus de 200 photos. Le projet est né presque dès la fuite du rapace. Ils l’ont suivi plus de 150 soirs d’été et matins d’hiver. Ils ont appris ses routines, reconnu ses cris, deviné ses perchoirs préférés.
Leur livre raconte tout cela : la peur des débuts, l’admiration devant sa faculté d’adaptation, le choc de sa disparition. Mais aussi la beauté de ses apparitions, le plaisir de le photographier en pleine chasse ou immobile dans la lumière des réverbères. La complicité qui naît, aussi, quand on photographie toujours le même individu. Ils jurent qu’il les reconnaissait. Et peut-être qu’il posait un peu pour eux ?
Photographier Flaco : entre défi technique et lien intime

Photographier un hibou nocturne en pleine ville, ça demande du métier. Emery et Lei ont utilisé des boîtiers Sony A1 et A7 IV, des téléobjectifs allant jusqu’à 600mm f/4 et de solides trépieds. Le tout parfois déclenché à distance. Un équipement qu’on a plus l’habitude de déployer dans la tranquillité des campagnes et des forêts sauvages.
Les nuits sans lune, ils repéraient Flaco à l’oreille, à la jumelle thermique, ou à son ombre sur le béton. Le moindre cliché est une petite prouesse technique. Et un fragment de poésie sauvage.
Mais au-delà du challenge photo, Flaco a surtout créé un lien. Un lien avec les gens. Avec les photographes. Avec la ville. Une fascination douce, collective, presque mystique. On le voyait comme un fugitif, un résistant, un immigré à plumes dans une ville de béton. Il était devenu symbole : de liberté, de débrouille, de beauté urbaine inattendue.
Un héritage bien vivant
Flaco est mort, mais il laisse des traces. En images, en souvenirs, et jusque dans la loi. Trois textes ont été déposés à New York : pour interdire les produits rodenticides qui l’ont empoisonné, pour protéger mieux les oiseaux en ville, pour rendre hommage à ce survivant improbable. L’un d’eux porte son nom : le FLACO Act.
Le livre reverse d’ailleurs une partie de ses bénéfices à des associations de protection des oiseaux.
Un an de liberté. C’est peu, pour un grand-duc. C’est immense pour les citadins qui l’ont croisé. Il a rappelé que la nature ne demande parfois qu’une brèche pour reprendre sa place. Et qu’un hibou sur une grue de chantier peut susciter autant d’émotion qu’un concert à Carnegie Hall.
Flaco n’aura pas vécu vieux. Mais il a, le temps d’un détour imprévu, réenchanté New York.
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