C’est une décision qui, espérons-le, pourrait faire date. Ce 13 mai 2025, le Conseil d’État a annulé le classement ESOD (Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts) de plusieurs espèces jusque-là piégeables ou chassables toute l’année.
Ces espèces qu’on appelle parfois les « nuisibles ».
Martre des pins, renard roux, corbeau freux, corneille noire, pie bavarde, geai des chênes, étourneau sansonnet : toutes ont été sorties complètement ou localement de la liste des ESOD qui était valable depuis 2023 et qui courrait jusqu’en 2026. Certaines à l’échelle nationale donc, d’autres dans quelques départements seulement.
Derrière cette décision il y a un constat clair : aucune donnée scientifique n’est venue démontrer que ces espèces sont nuisibles, ni que les autorisations de destruction sont efficaces pour réduire les dégâts agricoles ou protéger la biodiversité.
Le ministère de la Transition écologique a échoué à justifier l’utilité du classement.
Un coup de semonce juridique qui oblige désormais à repenser entièrement la « régulation » de ces espèces.
Le début de la fin pour la destruction systématique ?

Concrètement, cela signifie que, dans les départements concernés, il n’est plus possible de piéger ou de tuer ces espèces en dehors des périodes de chasse, sauf arrêté préfectoral circonstancié.
Pour elles, la destruction systématique, menée au nom d’intérêts agricoles ou cynégétiques qui n’ont pas été démontrés, est stoppée net.
Depuis des années, la communauté naturaliste dénonce en effet l’inefficacité de ces classements, appliqués sans aucune étude sérieuse sur les dégâts réels, et leur nocivité sur les effectifs et les dynamiques des populations.
C’est ce que disent aussi les rapports circonstanciés de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, ou encore de la très officielle Inspection générale de l’environnement et du développement durable :
« Aucun des pays étudiés n’a mis en place de dispositif s’approchant de celui de la France. […] Le classement national des Esod du groupe 2 constitue une surtransposition sans fondement européen et dont l’efficacité reste à démontrer. »
Cette décision du Conseil d’État amorce-t-elle un virage vers une gestion plus mesurée, non létale, localisée, et surtout fondée sur des preuves ?
Une victoire pour la biodiversité

Pour les associations qui portaient ce recours, c’est évidemment une victoire. Incomplète certes, mais qui pose un jalon important pour la suite. La LPO, l’ASPAS, One Voice, FNE, Humanité & Biodiversité et Animal Cross qui se sont mobilisées saluent d’ailleurs cette avancée.
Pour les espèces qui pouvaient être détruites sans limite, c’est évidemment un premier soulagement.
La martre, traquée jusque-là dans 26 départements, pourrait regagner du terrain. Même chose pour les pies et corneilles, souvent victimes d’une image négative et de piégeages arbitraires et sans fondement.
Idem aussi pour les renards, dont certains vont avoir droit à un peu de répit.
Ces petits carnivores (martres, fouines, renards) sont détruits et piégés en particulier pour éviter que les espèces d’élevage introduites pour la chasse (perdrix, faisans) ne leur servent de dîner. Car les concernant, les dégâts sur les cultures ou les élevages sont inexistants.
Mais la vigilance doit rester de mise.
Tout d’abord parce que cette décision ne garantit pas que le ministère tienne pleinement compte de son contenu pour dresser la prochaine liste des ESOD. Il devrait en tirer les conséquences, mais rien ne l’y oblige de manière formelle. La pression des lobbies agricoles et le la chasse pourrait repasser par là entre-temps.
Car, ensuite, il n’y a toujours pas officiellement besoin de données scientifiques pour justifier les piégeages et destructions. Les décisions de classement « nuisibles » peuvent s’appuyer sur de simples déclarations de dégâts par les agriculteurs et sur des remontées plus nombreuses des piégeages réellement effectués par les chasseurs (dont les fédérations de chasse elles-mêmes déplorent les lacunes). Il n’existe toujours aucune évaluation rigoureuse de ces déclarations. Cette décision du Conseil d’État défavorable aux chasseurs pourrait les pousser à se mobiliser à l’avenir pour produire plus de données.
Et, enfin, parce que les recours ne sont pas suspensifs et que leurs délais d’examen pourraient permettre à l’état d’utiliser la vieille méthode du fait accompli. En clair, si le ministère republie une liste quasi identique à celle qui vient d’être invalidée, mais qu’il faut des mois pour la faire casser par le Conseil d’État, chasseurs et piégeurs peuvent poursuivre les destructions pendant tout ce temps.
Des réactions vives du monde de la chasse

Côté chasseurs et piégeurs, la décision du Conseil d’État est vue comme « un coup de tonnerre ».
Sans attendre les réactions officielles des fédérations, la presse spécialisée chasse a immédiatement fait part de son inquiétude face à la perte de ce qu’elle considère comme un outil de régulation, et qu’elle juge indispensable.
Mais les arguments sont plus idéologiques que scientifiques : « lobbies déconnectés », « décisions de bureaux parisiens »… Les articles invectivent, oubliant la récente déclaration du président des chasseurs fin mars dernier, lors de sa réélection :.
« Nous savons que c’est par la connaissance et par la science que la légitimité de la chasse sera consolidée. »
Eh bien c’est exactement ce que le Conseil d’État vient de rappeler : la destruction d’espèces animales ne peut pas s’appuyer sur des suppositions.
Et pour le ministère de la Transition écologique le message est clair : toute future demande de classement ESOD devra désormais reposer sur des données robustes, validées, et localement motivées. Sous peine de pouvoir se faire retoquer.
Un appel à l’innovation et à la cohabitation
Cette décision pourrait en réalité déclencher un effet domino. D’autres recours pourraient être déposés, d’autres espèces réévaluées.
Et sur le fond à moyen terme, c’est tout le système de gestion des ESOD qui devra évoluer.
L’exemple européen est d’ailleurs clair : la France reste l’un des derniers pays à maintenir une destruction généralisée et pluriannuelle. Tout comme nous sommes l’un des derniers pays à autoriser des méthodes cruelles comme le déterrage ou la chasse des oiseaux au filet.
Ailleurs, on privilégie des solutions de cohabitation, des systèmes d’alerte, des moyens de protection non létaux.
Et sur le terrain, pour vous photographes ?
Si vous pratiquez la photo en région boisée ou agricole, restez à l’écoute : certaines espèces vont peut-être refaire surface là où elles étaient devenues invisibles. La martre, notamment, est un excellent indicateur de milieux préservés.
Même chose pour le geai ou la corneille, dont les interactions sociales offrent un terrain d’étude passionnant.
Mais attention : une apparente “disponibilité” de ces espèces ne doit pas mener à une intensification de la pression photographique. Les zones de quiétude restent rares, les perturbations nombreuses.
Raison de plus pour affiner vos repérages, allonger vos focales, et privilégier les techniques sans contact.
📍 Où les espèces ne sont plus considérées comme « nuisibles » ?
Voici le détail des espèces et départements concernés par l’annulation du classement ESOD pour la période 2023-2026 :
- Martre des pins : déclassée dans les 26 départements où elle était classée ESOD (mesure nationale ciblée, tous les départements initialement concernés sont annulés).
- Fouine : déclassée dans 3 départements : Aveyron, Morbihan, Territoire de Belfort.
- Renard roux : déclassé dans 3 départements : Aveyron, Haute-Loire, Lozère — hors zones à risques. Le déterrage est en outre interdit dans 11 autres départements : Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Aude, Bouches-du-Rhône, Finistère, Gard, Jura, Loire, Bas-Rhin, Territoire de Belfort, Val-d’Oise.
- Corbeau freux : déclassé dans 2 départements : Nord, Pas-de-Calais.
- Corneille noire : déclassée dans 6 départements : Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Haute-Loire, Vaucluse.
- Pie bavarde : déclassée dans 7 départements : Ariège, Charente, Haute-Garonne, Gers, Maine-et-Loire, Somme, Essonne.
- Geai des chênes : déclassé dans les mêmes départements que la pie bavarde (par jurisprudence associée, sauf contre-indication locale).
- Étourneau sansonnet : déclassé dans 3 départements : Corrèze, Meurthe-et-Moselle, Meuse.
- Belette d’Europe : reste ESOD uniquement dans le Pas-de-Calais.
0 commentaire(s)