Photo de couverture : Ingo Arndt a remporté la catégorie « comportement des invertébrés » lors du WPY 2024 avec cette image « The demolition squad ».
On les foule parfois du pied sans les voir. On les croit insignifiantes. Et pourtant : les fourmis rousses des bois (Formica rufa, polyctena…) sont peut-être parmi les architectes les plus importantes des forêts tempérées européennes.
Le photographe Ingo Arndt leur consacre un travail remarquable publié ce mois-ci dans National Geographic, fruit de deux ans d’immersion dans les forêts allemandes. Ses clichés — dont certains obtenus au prix de quelques morsures — révèlent une société miniature aussi complexe qu’influente.
Et, au passage, il nous livre une magistrale leçon de photographie macro.
Des insectes minuscules… et pourtant espèces-clés
On les appelle keystone species : ces espèces « clé de voute » sans lesquelles l’équilibre de tout un écosystème peut vaciller. Les fourmis rousses en font partie. Présentes dans les forêts boréales et tempérées d’Eurasie, elles y jouent des rôles structurant à plusieurs niveaux :
- Ingénierie écologique : leurs nids géants (jusqu’à 5 millions d’individus !) modifient la composition du sol, la répartition de la lumière et l’humidité.
- Nettoyage et régulation : par leur prédation, elles limitent la prolifération d’insectes xylophages, notamment les coléoptères ravageurs des conifères.
- Symbioses multiples : elles “élèvent” des pucerons pour leur miellat, transportent de la résine de pin qu’elles enrichissent d’acide formique pour désinfecter leur nid, et protègent d’autres espèces en échange de nourriture.
La photo d’un geai des chênes se posant volontairement sur un dôme de fourmis pour se faire asperger d’acide et ainsi éliminer ses parasites résume à elle seule l’étonnante complexité de ces interactions.
Photographier l’invisible
Pour capter ce ballet millimétrique, Ingo Arndt a utilisé des objectifs macro (notamment le très atypique Canon MP-E 65mm) couplés à des techniques avancées de focus stacking. Certaines images sont les résultats composites de plus de 500 prises empilées. Le résultat : une plongée dans un monde que l’œil humain perçoit à peine.
Quelques conseils à retenir si vous souhaitez vous y frotter (avec précaution) :
- Préférez les focales longues (100 mm macro) pour garder un minimum de distance avec les insectes.
- Prévoyez de photographier tôt le matin : la lumière est plus douce et les fourmis souvent plus calmes.
- Stabilisez votre boîtier : rotule précise et trépied bas (idéalement sans colonne centrale) sont vos alliés.
- Soignez vos compositions : intégrer l’environnement immédiat (aiguilles, résine, écorce) raconte bien plus que le gros plan seul.
Une biodiversité qui pique, mais qui décline
Les fourmis rousses ne sont pas qu’un sujet photographique fascinant. Elles sont aussi en recul. Leur disparition progressive est liée à plusieurs facteurs :
- Perte d’habitat : coupe des forêts, artificialisation des sols, monocultures.
- Changements climatiques : hausse des températures et sécheresses fragilisent leurs nids.
- Déclin des espèces partenaires : pucerons, arbres hôtes, sols riches en micro-organismes…
Plusieurs pays, dont l’Allemagne, les ont classées parmi les espèces protégées. Et ce n’est pas pour rien : ces petits insectes portent sur leurs mandibules une part de la santé de nos forêts.
Photographier pour mieux comprendre
Ingo Arndt le dit lui-même : son travail a pris une dimension nouvelle. Il ne s’agit plus seulement de beauté ou de technique, mais de transmission.
En documentant les comportements de ces fourmis, il donne à voir les rouages cachés de la nature. Et rappelle que, pour qui sait observer, la vie grouille jusque sous nos pieds.
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